C’est comme ça …

C’est comme ça…

Il y a des jours où je ne ressens aucun sentiment.
Ni tristesse
Ni colère
Ni manque
Ni souffrance
Ni peur
Ni joie
Ni plaisir

C’est comme ça.

Il semble que l’absence, omniprésente, soit passée maître de mon cerveau et de mon cœur.
Parfois même de mon corps.

L’absence gère mes émotions, nuit et jour.

Et ça, chaque jour de façon différente.

Parfois en arrangeant un doux mélange ou en passant d’un extrême à l’autre.
Du rire aux larmes, de la joie à la tristesse.

Sans que je la comprenne, sans que je sache comment la gérer.
Car je ne peux la contrôler.

C’est comme ça. Je l’accepte et je fais avec.

De temps à autre lorsque le monde entier m’agace, que chaque parole et tout m’exaspère sans que je ne sache pourquoi, je m’isole.

Comment ne pas heurter la sensibilité des gens, concernant une émotion pour laquelle ils ne sont pas responsables et que moi-même n’arrive pas à déchiffrer?

Soit je m’enferme dans le travail de l’association qui me passionne.

Soit je maudis à haute voix toutes les personnes qui se permettent de me donner leurs précieux conseils, sur la façon dont je devrais gérer ma vie, sur la façon dont je devrais « faire mon deuil ».

Soit j’écris car j’aime écrire, et que cela me fait du bien (et je ne publie pas tout croyez moi)

Soit je pleure en hurlant que ce n’est pas juste, que c’est trop difficile, que je n’y arrive pas.

Pleurer parait-il « fait du bien », « il faut pleurer ».
Et pourtant…je ne me sens pas mieux après avoir vidé toutes les larmes que mon corps peut produire.

Je me retrouve juste les paupières bouffies, les yeux rouges et par-dessus tout un sacré mal de tête.
La réalité est toujours là et l’absence toujours à mes côtés.

Donc non, pleurer ne me fait pas du bien. Mais parfois c’est nécessaire.

C’est comme ça.

Je suis convaincue que l’être humain a un bon fond, sauf bien entendu quelques exceptions, et que tous les conseils partent d’un bon sentiment.

Mais vivre avec l’absence de ma fille au quotidien, est un travail, un poids, une épreuve auquel je dois faire face tous les jours, toute la journée et toute la nuit.

Personne ne peut le comprendre, sauf ceux qui le vivent également.

C’est comme ça.

Je ne suis pas plus forte ni plus courageuse que les autres maman endeuillées.
Je suis une hyperactive, je me donne à fonds pour ceux qui me sont chers, ceux que j’aime et pour les causes qui me semblent nobles, pour celles que j’ai choisi de défendre.

Et j’adore ça.

« Je sais qu’on parle de de moi, que certains se réjouissent et que d’autres prient pour moi, je vais je ne les entends pas. » Emmanuel Da Silva, La-Haut

Certains y voient une fuite, et ça me fait sourire.

Chaque activité entreprise par l’association me rappelle l’absence de Zoé.
En effet, si Zoé était encore là, nous ne serions pas là où nous en sommes avec l’association.

La maison silencieuse me rappelle son absence.
Chaque recoin de la maison, du jardin, du village, chaque enfant croisé à l’école me rappelle que l’absence, elle est toujours là.
Chaque tâche ménagère me rappelle l’absence. Moins de linge à laver, trois couverts au lieu de quatre, fini les biberons et les couches. Une chaise vide à table.

L’absence est partout, toujours à mes côtés.

C’est comme ça.

La mort n’a pas encore voulu de moi.
En attendant mon tour j’ai décidé de continuer à vivre, comme je l’entends, comme je le désire, et surtout comme je le peux en fonction de mes humeurs de mon caractère.

En fonction de la douleur que l’absence cause dans mon cœur.

C’est comme ça.

Je ne demande pas que l’on me comprenne.
Je ne demande pas l’avis des autres, ni le vôtre, vous qui me lisez.

Il n’existe pas de mode d’emploi sur le fonctionnement des émotions ressenties par chacun et sur la façon dont nous devrions, ou pourrions y faire face.

Aucun mode d’emploi lorsqu’un parent explique à son enfant qu’il va mourir. Ni que son papa ou sa maman va mourir.
Quels mots utiliser pour tenter d’apaiser la peine de votre enfant qui pleure la perte de sa soeur, de son père ou de sa mère, alors que nous en avons déjà tant nous-même…
N’est-ce pas le rôle d’un parent d’apaiser les craintes, de sécher les larmes, de consoler, de rassurer et de protéger son enfant du mieux possible ?

Il n’y a pas de règle et il n’a pas toujours de mots. Il n’y a pas de façon juste, pas de mode d’emploi.

Parfois une présence, une oreille qui écoute et qui entend est suffisante.

J’agis en fonction de mon cœur et je suis intiment convaincue que le cœur ne se trompe pas. Lorsque la décision a été prise avec le cœur c’est que c’était la bonne. Sur le moment du moins, car la raison vient en général nous faire douter plus tard.

Mais c’est comme ça et il ne sert à rien d’avoir des regrets.

J’ai bientôt 39 ans. Je suis celle qui me connait le mieux et pourtant je ne me comprends pas toujours.

J’ai changé.

Je fais avec.
Ceux qui me connaissent doivent également faire avec et je conçois que ça ne soit pas toujours facile….

Je dois accepter d’abandonner la vie que j’avais planifiée pour avoir accès à la vie qui m’attend. « Joseph Campbell »

Je suis une maman endeuillée.

Et c’est comme ça.

Natalie Guignard-Nardin novembre 2014

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