Les gants bleus

Les gants bleus

Imaginez-vous assis au volant de votre voiture. La circulation est dense vous avancez au pas et sur le côté une voiture tente de rejoindre la file dans laquelle vous patientez. Son conducteur cherche un regard, guette un signe qui lui permettrait de rejoindre la file.
Que faites-vous ?

Peut-être allez-vous avancer de quelques centimètres afin d’être le plus proche possible de la voiture de devant ? Ceci pour ne surtout laisser aucune chance au conducteur sur le côté de venir y mettre son véhicule. Vous allez en plus tourner la tête de l’autre côté, feignant de ne pas l’avoir vu, ou chercher quelque chose dans votre sac, régler la radio ou regarder si vous avez reçu un message sur votre téléphone.
Lorsque devant vous vous voyez qu’enfin ça bouge, vite, vous avancez afin de bien rester pare choc contre pare choc. La voiture sur le côté est maintenant à la hauteur de vos portes arrière.
Ouf ! Même si vous avez un peu de remords à ce moment-là il est trop tard de toute façon pour changer d’avis.
Quelle chance ! Vous l’avez échappé belle hein ? Oui oui en plus me direz-vous si vous en laisser passer une, vous êtes obligé de tous les laisser passer! Vous avez bien fait c’était la meilleure solution.
Vraiment ?
Comment vous sentez-vous à ce moment-là ? Oh nous l’avons certainement tous eu cette attitude, de jouer ce petit manège.
Mais franchement, en toute sincérité, comment vous sentez-vous ?
Soulagé de ne pas avoir perdu votre place ? Fier de votre attitude ou au contraire, ressentez-vous une petite honte, un léger mal être ? Ha non ! Peut-être, êtes-vous totalement indifférent me direz-vous, même si au fonds nous savons tous que ce n’est pas le cas.

Ou au contraire.

Vous décidez de laisser passer cette voiture. Oui il y en a cinq autres derrière c’est vrai mais une. Une seule, ça ne va pas changer quoi que ce soit dans votre emploi du temps si chargé finalement. Mais si je vous dis que oui cela va changer quelque chose pour vous, vous me croyez ?
C’est vous qui chercher le regard de l’autre conducteur. Vous laissez volontairement de l’espace entre le véhicule de devant et le vôtre et vous faites un signe de la tête de la main qu’importe, vous laissez passez.

Et là comment vous sentez-vous lorsque le conducteur ouvre sa fenêtre, vous fait un geste de remerciement de la main, un signe de tête, un grand sourire ou vous crie un merci ?
Ne ressentez-vous pas à ce moment-là cette impression au fond de vous… pas seulement la conviction d’avoir bien agit, mais cette sensation de bien-être ?
Vous avez rendu service, vous avez fait une bonne action. Car vous avez agi avec ce qu’on appelle du savoir-vivre. Vous avez écouté votre cœur.

Cela nous vous a pas fait de mal, ni de tort de faire plaisir non ? Donnez si peu et pourtant recevoir autant…Alors pourquoi ne le faisons-nous pas plus souvent ?

Tout ça pour en arriver à l’histoire des gants bleus….non pas les mots bleus de la fameuse chanson. Les fameux gants bleus que Zoé aimait tant.

A l’hôpital il y a des règles et des protocoles à respecter. Pleins, pleins de protocoles. Tous ne sont pas très logiques et certains sont difficiles à comprendre mais qu’importe on fait avec.

Les infirmières utilisent des gants stériles pour certains soins, comme poser une aiguille sur un porte à cath. Dans le service d’hospitalisation pédiatrique du CHUV ces gants sont bleus. De l’autre côté du couloir, dans l’unité d’oncologie ambulatoire ces gants sont couleur peau, chair, marron clair quoi. Ne me demandez pas pourquoi
Le geste est le même pourtant ! Bref Zoé a, un jour dit à son infirmière adorée: tes gants ils sont moches ! Elle a expliqué que y’avait des gants bleus à quelque mètres de là. Depuis ce jour-là, l’infirmière qui voyait le nom de Zoé sur le planning le matin ou le jour avant, prenait 5 minutes de son temps pour traverser le couloir et chercher des gants bleus auprès de ses collègues dans l’unité d’hospitalisation.
Lorsque nous arrivions, Zoé était heureuse de voir l’infirmière qui utilisait de beaux gants bleus pour lui poser son aiguille. Elle riait avec l’infirmière et cette dernière savourait probablement cette sensation de joie qu’elle devait ressentir. Le geste était beaucoup plus simple à faire avec un enfant qui coopère, plus rapide aussi.
Un petit geste, un si petit geste qui ne demande rien pour celui qui l’offre mais qui apporte tant en retour et qui est si grand pour celui qui le reçoit.
Au final ce sont les deux personnes qui en sont grandies. Alors pourquoi refusez de faire plaisir alors que nous savons que cela vous nous faire du bien à nous également ?
Lorsque vous êtes fier de votre enfant qui va pour la première fois aux toilettes vous lui dites. Lorsqu’il fait sa première descente de ski il reçoit une médaille.
Là c’est pareil, ces petits héros méritent que l’on prenne 5 minutes pour eux en leur accordant une petite attention particulière, une récompense, car soyez certain du temps sera gagné au final ! Car l’enfant sera beaucoup plus coopératif et surtout heureux. Ce n’est bien sûr pas mentionné dans un protocole cela, et alors ?
Vous me direz que si on le fait pour un il faut le faire pour tous ? Hé ben voyez-vous actuellement dans le service de pédiatrie il y a des inégalités entre les enfants, même entre enfants qui ont la même maladie, soit un cancer. Pour rappel les « patients onco » comme on les appelle, sont dans la même unité d’hospitalisation que la pédiatrie tout court lorsqu’ils sont hospitalisé.
Zoé m’a demandé un jour pourquoi lorsque l’unité d’ambulatoire était ouverte elle avait droit à une récompense dans le clown après une pose d’aiguille. Alors que si le geste était effectué en hospitalisation (le week-end, jours férié, soirs ou souvent avant une hospitalisation) elle n’y avait pas droit. Car voyez-vous, le clown est de l’autre côté du couloir. Je lui ai expliqué que les autres enfants dans la chambre où elle allait dormir n’avait pas non plus eu droit à la récompense. De plus eux ils n’y ont pas droit en général car le clown c’est pour les enfants qui ont le cancer. C’est comme ça et elle a compris au même titre que tous les autres enfants de la chambre. C’est pareil entre frères et sœurs. Ce n’est pas parce qu’un reçoit ceci que l’autre va aussi le recevoir.
N’empêche que la pose d’aiguille se passait bien mieux en ambulatoire avec au bout la récompense.
L’histoire des gants bleus ne s’arrête pas là. Elle aurait pu, elle aurait dû s’arrêter là.
Mais voilà qu’un jour l’infirmière de Zoé n’était pas là et c’est une autre personne qui s’est occupée d’elle. Les gants bleus étaient là. Prêts à être utilisé car une tierce personne avait pris le temps, pris le soin de traverser le couloir pour aller les chercher sachant ce que cela représentait pour Zoé.
Je revis cette scène encore aujourd’hui. Je revois l’assistante expliquant qu’elle a été se procurer les gants bleus. Et l’infirmière qui lui dépond que non, elle utilisera les gants qu’elle a l’habitude d’utiliser, « les moches ». La déception se lisait dans les yeux de ma fille. Et même si elle s’est laissée faire car nous avons pris toutes les deux sur nous, ce jour- là, elle n’a pas rigolé contrairement à son habitude. Et moi je n’ai rien dis, malgré que la colère et l’incompréhension grandissait en moi.
C’était le 16 octobre. Cela faisait huit jours que nous savions que Zoé était condamnée et nous allions partir deux jours plus tard pour réaliser son rêve.
Aujourd’hui le temps a passé. Zoé n’est plus là. Même le sourire de Zoé, qui s’affiche sur les livres qui trônent dans les étals des librairies, des kiosks et autres que de parfait inconnus achèteront, ne la feront revenir, ni ne la « garderont en vie ».
« Les épreuves que la vie vous envoie font de vous ce que vous êtes ». Oui j’ai lu et entendu cette phrase et c’est vrai.
J’ai changé. Le cancer m’a changé. Voir mon mari et mon autre enfant souffrir tous les jours de l’absence de Zoé ça m’a changé. Devoir tous les jours me lever sachant que je ne pourrai plus serrer ce petit corps contre moi, ne plus sentir cette odeur si particulière, plus jamais oui ça change une personne. Devoir trouve un sens, un but à ma vie, alors que toute ma vie tournait autour de ce petit rayon de soleil qui n’est plus là, oui c’est dur.
Une maman cancer a dit un jour après la perte de sa fille : Le jour où ma fille est décédée a été le premier jour du reste de ma vie….c’est bien vrai.

Dans la vie, il n’y a pas toujours une façon juste ou fausse d’agir. Il faut également savoir se faire confiance en agissant selon notre instinct ou selon ce que notre coeur nous dicte.
C’est pareil lorsqu’il s’agit de faire plaisir ou de rendre service à une personne.
On ne peut pas laisser passer toutes les voitures, mais une, c’est déjà ça. Nous pouvons faire la différence pour une voiture….
Voir sourire un enfant, l’encourager par une récompense ou une attention particulière pour un soin qu’il pourra affronter avec plus de courage c’est déjà beaucoup, d’autant qu’il en a déjà tant eu et en aura encore tant.
Rappelez-vous, cela vous coute quoi ? Et ne se sent-on pas mieux après avoir pu faire plaisir ?
Alors si je n’ai pas toujours su dire les choses par le passé au moment opportun, je me dis qu’au lieu d’avoir des regrets il vaut mieux relater les faits. Même si c’est un peu plus tard, au lieu de se taire à jamais.
L’histoire des gants bleus je me devais de la partager car elle aurait pu se terminer il y a des mois et même bien se finir.
Un jour des personnes incroyables ont écouté ce que leur cœur le dictait. C’est une si grande qualité. Elles ont fait tant rire ma fille avec ces gants bleus. Et rien ne ternira cette image.
Elles ont fait la différence pour au moins une personne et aucun mot ne sera à la hauteur de ma reconnaissance pour leur action.

L’histoire des gants bleus s’achève donc finalement à cet instant précis, car j’ai décidé d’exprimer mes émotions.

En effet, oui j’ai changé et c’est ainsi. La naissance de Zoé, son cancer, son décès oui ça m’a changé.

Je dis les choses que ça plaise ou non et je vois ça de façon positive.

Le 24 avril 2014 – natalie Guignard-Nardin
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