Bienvenue dans ma réalité

J’avais l’envie depuis bien longtemps de vous parler des gens que je rencontre lors de nos séjours et passages à l’hôpital, ainsi que de ce que je peux ressentir et vivre. Mais je ne l’ai jamais fait. J’ai commencé un texte, puis arrêté me demandant ce que ça vous apporterai à vous qui me lisez. Qu’est- ce que j’espère ? Qu’est-ce que je veux ? Crier au monde entier la souffrance qu’il existe, là, pas à l’autre bout du monde, juste là derrières les murs de cet immense bâtiment qu’est le bâtiment principal du CHUV ? Oui pourquoi pas, mais finalement c’est juste que moi j’ai envie de le dire, de le partager. Certains me liront jusqu’au bout d’autres pas. Certains compatiront aux malheurs de ces familles, d’autres auront pitié, d’autres resteront de glace. Qu’importe finalement, ce que je veux c’est que quand vous regardez un enfant malade vous le regardiez avec admiration et non avec la pitié, tout comme sa famille car ce qu’il traverse est dur injuste, mais c’est juste la réalité dans laquelle on vit.

D’avoir le blog d’une autre maman du CHUV (voir sous liens), m’a motivé à publier ce texte écris sur plusieurs jours depuis quelques semaines.

Ces couloirs du 11ème étage de l’hôpital universitaire de Lausanne, bordés de lampes en forme de tulipes, je les ai parcourus pendant des heures et des heures. Profitant de m’échapper de la chambre parfois trop bruyante, parfois trop pensante pour promener Zoé, tenter de la faire dormir dans sa poussette, aller jouer au coin jeux ou au jardin d’enfant. Surtout toujours mais alors toujours un détour par l’espace famille. Cet espace réservé aux familles, conçus par l’ARFEC (association romande des familles avec enfant atteint de cancer) où le détour pour y prendre un café est presque obligé pour moi. Souvent quand Zoé était bébé je « fuyais » la chambre car le matin entre les nettoyages et les soins je cherchais le calme. Zoé se rendormait en fin de matinée alors si les médecins n’avaient pas encore pu passer je filai dans cet espace, Zoé dormait dans la poussette, je prenais mon café sur un fauteuil. Lire un livre ? Plus jamais depuis la naissance de Zoé, moi qui dévorait pourtant les livres. Un jour ça reviendra peut-être. Je passais le temps comme je pouvais. Parfois d’autres parents arrivaient, souvent des mamans. Avec certaines nous avons sympathisé, créer de véritable amitiés, et avec d’autres le courant ne passe pas.

Chacune a son histoire, plus terrible les unes que les autres. Pire ou moins pire qu’importe, nous sommes toutes là pour soutenir notre enfant, la chair de notre chair qui est hospitalisée et nous faisons toutes de notre mieux. Parfois on partage et souvent j’ai l’impression que la maladie de leur enfant est plus grave que celle de ma fille. J’ai toujours l’espoir que ma fille guérisse un jour, que le cancer aura été une partie de notre vie, de sa vie. L’espoir de guérison est toujours , et bel est bien là. Pour d’autres ce n’est pas le cas et j’avais envie de partager avec vous, une fois, une partie de ces histoires, ces visages qui me reviennent, qui ont partagé un moment de ma vie dans ces couloirs.

Je revois ces jeunes filles, hospitalisées pour anorexie. Souvent elles sont jugées et une fois une maman m’a dit qu’elle ne pouvait pas, qu’elle n’acceptait pas d’être face à ces jeunes filles, partager la chambre et discuter avec elles non pas possible. Son enfant se battait pour vivre et ces jeunes filles foutent en l’air la leur ! Nous pensons tous autrement, je respecte les avis de chacun, mais qui sommes-nous pour juger ? Je me souviens que Zoé bébé restait seule pour la nuit alors que je rentrais auprès de Lana. Les infirmières plaçaient donc Zoé stratégiquement avec un autre enfant dont un parent restait ou justement avec des jeunes filles anorexique. Il y a eu des moments de belles complicités lorsque Zoé jouait et rigolait avec l’une d’entre elle. Parfois moi aussi eu de belles discussion avec ces jeunes filles.

Zoé joue ces temps avec une peluche, un joli chien, qu’elle avait reçu d’une jeune fille. Au tout début de sa rechute d’octobre, je m’absente un instant et je retrouvé Zoé carrément sur le lit d’une jeune fille qui jouait avec elle et lui montrait ses peluches. Elle lui donnera ce chien qui aujourd’hui, accompagne encore  Zoé.

Zoé a découvert la maison à l’âge de 3 mois. Elle aura passé les trois premiers mois de sa vie à l’hôpital oui, mais « que » trois mois finalement…

Je vois cette femme, chaque fois que nous allons au CHUV elle est là. Sa fille et elle y sont toujours. Rentrent-elles à la maison et reviennent- elles aux mêmes moments que nous y allons ? Une petite fille de 6 ans peut-être je ne sais plus, tellement j’ai trouvé son parcours difficile.  Il n’y a pas une fois où je ne la vois pas. L’autre jour à l’espace famille nous nous retrouvons assises face à face à boire un café. Nous discutons, nous partageons nos histoires. Pas difficile de voir que Zoé sortait de chimio. Elle me raconte… sa fille n’est jamais rentrée à la maison, sauf pour quelques  mois…elle vit à l’hôpital et ça depuis toutes ces années ! Ils vivent loin de l’hôpital bien trop loin pour pouvoir venir le matin et rentrer le soir. Alors il faut s’organiser une vie avec une chambre à la maison des parents, pas juste quelques semaines ou quelques mois, mais des années…
Je m’estime chanceuse de savoir de quoi souffre ma fille et de savoir qu’il existe des médicaments pour la guérir que parfois ce n’était pas les bons ou pas suffisant et oui le risque de mourir est bien là, mais au moins on sait contre quoi se battre. Quand on découvre une maladie orpheline à un enfant, qu’il n’y a aucun espoir de guérison ou peut-être pire « qu’ils ne savent pas quoi faire ni quoi penser car  c’est méconnu », comment on vit avec ça ? Est-ce qu’un jour l’enfant rentrera à la maison et est-ce qu’on va réussir à lui trouver un remède qui lui permette d’avoir une vie hors de l’hôpital ? L’incertitude c’est bien là le plus dur.

Ce petit bout de chou qui tous les jours vient au jardin d’enfant de l’étage pédiatrique et que Zoé adore. Quelle est son histoire ? Je me le suis souvent  demandée en voyant sa maman le déposer. Mais bien sûr on ne demande pas, ça ne se fait pas, nous avons tous notre histoire, comme un fardeau qu’on porte sur nos épaules, comme un secret qu’on aimerait parfois partager parfois pas.

Un jour j’apprendrai que ce petit bout de chou est venu au monde il y a 18 mois et qu’il a un frère jumeau. Son frère est resté hospitalisé car il a des problèmes cardiaques importants.

Du coup c’est encore une autre vie qui s’organise, un travail qu’il est impossible de reprendre, des soucis financiers qui s’en mêlent automatiquement même si personne ose en parler, une vie de famille qui n’en est plus une. Un quotidien… différent.

Puis comment réagir face à une maman qui craque, qui nous annonce que sa fille est en rechute et qu’il n’y a guère de chance de trouver un autre traitement, ou face à celle qui vous annonce que non sa fille ne va pas bien, qu’il n’y a plus rien à faire. Celle que l’on croise et dont on sait que son enfant est en fin de vie. La regarder ou pas ? Lui dire quelque chose ou non et si oui quoi ? Et à la maman qui vient de perdre son fils et que l’on a là en face de soi ? A cette maman, amie, qui m’appelle pour me dire que sa fille est dans un état critique….

Il y a bien des fois où j’ai senti la boule dans ma gorge, les larmes me piquer les yeux. J’aurai pleuré avec elles dans leur bras ? Pour moi c’est hors de question de pleurer avec les gens mais comment réagir…finalement je me dis que trop de gens nous ont ignorés, de peur de déranger, de peur de ne pas savoir quoi dire ou faire il a été plus facile d’ignorer pour certaines personnes. Combien de gens ne nous demandait rien  alors que nous aurions tant voulu partager avec eux, parler avec eux ! Alors on essaie de réagir comme on aimerait que les gens réagissent avec nous, pour autant que l’on en soit capable….et je me dis révoltée «  Merde la vie est vraiment dégeulasse, injuste » ! Puis on doute, on doute de notre combat à nou,s car oui on sait très bien que ce n’est pas parce que ça arrive aux autres que ça va nous arriver, mais forcément on sait que c’est possible vu que la vie ne tient qu’à un fil spécialement celle de nos enfants malades.

Parfois je me suis sentie jugée par d’autres mamans, regardée. Nous agissons toutes différemment avec nos enfants. Certaines pleurent,  d’autres les plaignent, les surprotègent de façon excessive. Mais on fait toutes de notre mieux en fonction de notre parcours, de notre vécu et du soutien que l’on a. Il m’est arrivé de voir des parents agressifs avec le personnel médical, distants avec les autres parents, ne voulant pas entrer en contact. Et il m’est arrivé de me sentir « nulle », pas à la hauteur…Quand on va à l’hôpital et que Zoé devait passer plusieurs heures à attendre qu’un médicament coule dans ses veines, attendre le médecin ou que ça soit simplement l’heure d’aller faire un examen, je suis bien contente s’il y a les pinceaux magiques ou les clowns ! C’est une association qui fait de la peinture sur soie avec les enfants ou les fameux clowns. Zoé a déjà peint une dizaine de sacs au moins et plein d’autres choses. Je profite pour aller me chercher mon fameux café, j’espère trouver une maman avec qui échanger, une maman que je connais que j’aime bien. Je profite pour prendre des nouvelles d’enfants hospitalisés dans le service qui se trouve en face, dans l’autre couloir. Je discute avec les infirmières…Je prends souvent l’i-pad. Zoé aime écouter la musique. Mais y’a des jours où je n’ai juste pas l’énergie, ni l’envie de lui lire des histoires ou de jouer des heures avec elle. C’est terrible me direz-vous mais c’est comme ça et je n’ai pas honte de le dire. Il y a eu tant de jour pendant lesquels Zoé était en isolement protecteur, ne pouvant quitter la chambre que j’ai passé des heures à jouer aux playmobiles s’inventant un monde, à lires des histoires écouter de la musique avec elle que ma fois il y a des jours où je ne peux pas. Et ça tombera le jour où je serai avec une maman qui sera au top lisant livre après livre à son enfant enchainant des jeux éducatifs avec lui et moi je profite de  filer boire un café laissant Zoé avec la dame de la peinture !

Quand Zoé reçoit un sédatif qui va la faire dormir, enfin qui devrait, elle lutte pour ne pas sombrer dans le sommeil. Elle va donc tenter de continuer à jouer alors qu’elle titube sur son lit, puis elle va vouloir jouer à tout mais à rien finalement. Un puzzle qu’il lui est impossible de faire car le sédatif commence son effet, un livre qu’elle voudra puis ne voudra plus, puis je vais devoir la tenir pour ne pas qu’elle tombe du lit ne se blesse pas et elle pleure, crie s’énerve. Si la chambre seule est libre c’est là que nous allons les deux seules, jusqu’à que Zoé finisse par s’endormir. Mais il arrive que ça ne soit pas possible. Je conçois que ça ne soit pas agréable pour les autres patients ou parents, mais s’il y a bien une chose que je ne supporte pas c’est qu’une autre personne vienne me dire comment je dois faire avec ma fille. La seule aide et conseil que j’accepterai serait celle d’une infirmière, mais encore, il faudrait que ça soit l’infirmière référante de Zoé car elle seule, connait vraiment bien les réactions de ma fille. Alors oui c’est vrai que j’ai mal prit quand une autre maman m’a demandé si je ne devais pas lui lire un livre ou faire un puzzle avec Zoé pour qu’elle se calme…. Mais je suis restée zen, étant éduquée et je n’ai pas osé envoyer bouler la maman car je sais que ça part d’un bon sentiment quand même.

Il y a eu des moments de fou rire avec une ou deux mamans, entre rires mais aussi entre larmes lorsque nous apprenions le décès ou les mauvaises nouvelles de certains patients, mais savourant chaque instant que la vie nous permet de passer auprès de notre enfant.

Parfois nous traversons les couloirs jusqu’en hospitalisation afin de saluer les infirmières qui y travaillent. Il est toujours difficile d’aller rentre visite à un patient hospitalisé dans le service pédiatrique ou de passer devant ces chambres. Chaque chambre nous rappelle quelque chose.

La première chambre, celle que Zoé a partagée avec cette jeune fille soignée pour anorexie, la deuxième où Zoé bébé était avec cette petite fille d’une année atteinte d’une trisomie et d’une leucémie et où on nous a autorisés à la ramener à la maison pour la première fois quelques heures. La troisième, la fameuse grande chambre à 5 lits, celle où Zoé aura passé le plus de temps. Celle où début novembre, ma sœur près de moi, je pleurai en voyant l’infirmière injecter la « première » chimio à Zoé. C’était prendre conscience que ça y’est on y était, la rechute était bien là, le crabe était bien de retour. Jusque-là y’avait toujours l’espoir qu’ils s’étaient trompé non ?! Puis la suivante où j’ai passé la nuit avec un papa qui ronflait tellement fort que je n’en revenais pas qu’on puisse ronfler si fort. Pourtant il m’avait prévenu. On en a rigolé le lendemain, mais j’avoue que j’ai été soulagée quand on m’a annoncé que la prise de sang de Zoé n’était pas bonne et qu’elle devait passer en isolement. Au moins en isolement l’enfant est seul en chambre ! Les nuits sur un lit de camp ce n ‘est pas très confortable, mais pour quelques nuits ça va encore et encore on est plus ou moins un peu plus au calme.. Et au moins nous avons une chance à Lausanne c’est de pouvoir dormir auprès de notre enfant. Ce n’est pas le cas partout.

Quand Zoé était à Berne il y avait la barrière des langues même si je me débrouille bien en allemand. Mais je ne connaissais personne, et personne ne venait me parler. Les journées étaient longues comparées à celles de Lausanne où il y avait toujours quelqu’un avec qui parler. Je revois cette famille qui était là avec leur fille, ils y étaient encore des mois plus tard attendant que leur fille s’en aille…plus rien ne pouvait la guérir, sa tumeur au cerveau la tuai à petit feu. Nous avons échangé quelques mots  mais que pouvais-je leur dire ? Et je revois ces deux jeunes filles, minces chevelures parfaites marchant avec des béquilles pour une et en chaise roulante pour l’autre. Je les verrais par la suite, à travers la porte de ma chambre, chauves, s’entrainant à marcher avec des béquilles, chacune une jambe en moins….

Après tous ce que nous, parents d’enfants gravement malade vivons pendant des mois des années avec nos enfants, je n’accepte pas de devoir me battre contre certains membre du personnel médical. Quand j’écris cela je pense aux soucis que j’ai eus avec les anesthésistes ou l’hôpital de jour. Je ne supporte pas qu’on manque de respect à ma fille qui se bat avec autant de volonté contre la maladie. Je pense à ma fille mais à tous les autres aussi. Je ne me laisserai plus faire c’est certain, je crois que j’ai appris avec les années, c’est mon rôle de protéger ma fille, de faire ce qu’il faut pour qu’elle vive ces hospitalisations et examens au mieux. Nos enfants passent des mois des années dans les hôpitaux alors ils ont droit au maximum de confort et à du respect. Ils endurent pour la plupart sans se plaindre des choses que nous ne pourrions supporter sans nous plaindre et sans nous apitoyer sur notre sort. Alors respect, c’est ce que nous, parents, nous demandons pour nos enfants malades.

Alors que je termine mon récit, forme de thérapie peut-être, un article dans un journal a été écris pour parler des frères et sœurs d’enfants malades. Lana a été d’accord d’y témoigner et nous aussi tout comme deux autres familles. Je vous donne le lien si vous désirez le lire.

http://epaper.tamedia.ch/Default.aspx?product=FEMINA&edition=FEMINA

pages 12 à 15 pour l’article.

« You never know how strong  you are, until being strong is the only choice you have »

« Vous ne savez jamais combien vous êtes forts, jusqu’au jour où être fort est le seul choix que vous avez »