Rendez-vous

Il est cinq heures, je suis réveillée. Ce qui est rare…Même si je n’ai jamais eu de problèmes à me lever au milieu de la nuit ou tôt le matin, en général c’est plutôt le soir que je tourne dans mon lit des heures et des heures cherchant le sommeil.

Je cherche à me rendormir en vain. Puis de tout façon mon mari se lève pour partir au travail et Lana va dormir encore plusieurs heures. C’est les vacances.

J’ai beaucoup à faire. Je me lève enfile mes baskets et sors courir. Oh je ne cours pas bien du tout ni longtemps car je m’y suis mise il y a juste quelques semaines. Et j’avoue ne pas être très douée…

Mais ce que j’ai besoin avant tout c’est de sortir pour mon rendez-vous avec dame nature et sa faune. J’aime entendre le bruit de la nature et il n’est donc pas question pour moi d’écouter de la musique pendant ce voyage.

Pour effectuer le tour que j’aime faire lorsque j’ai peu de temps, je traverse les champs puis j’arrive en forêt où je fais une boucle pour revenir ensuite à travers champ.

J’y vais, je démarre et je regarde ce grand bout droit devant moi. 1km parfaitement droit au milieu des champs de blé, orge et tournesols. Mon dos me tire, mais je serre les dents, ça va passer.…Je peste un peu quand même, depuis le temps que je traîne ce mal de dos!

Il fait bon, très bon en cette période de canicule, le soleil n’est pas encore levé.

Je vois au loin mon premier rendez-vous.

Monsieur le renard est assis au milieu du chemin et nos regards  se croisent. Il m’observe. Je me demande ce qu’il pense en me voyant. Il m’intrigue à rester là et je me réjouis de voir à quelle distance il va me laisser l’approcher.  Un pas de plus et ça y’est. Il est loin. Il a filé à travers  le champ de blé. Je sais que je ne le verrais plus aussi souvent une fois les moissons terminées et le blé coupé…

Je continue d’avancer comparant cette route à la vie.

Nous pensons que la vie est comme une route bien droite, qui sera définie selon nos souhaits, nos désirs et nos choix.

Or la réalité est tout autre.

Je regarde devant moi, gardant en tête mon but et mes priorités.

J’entre dans la forêt et je me concentre car le chemin est plein de trous, de bosses, de graviers et de virages. Ça serait bête de me blesser et ma cheville reste fragile depuis une déchirure des ligaments l’année passée.

C’est dur, j’ai le souffle court, j’ai mal géré ma respiration, je suis partie trop vite, j’ai de la peine et j’en suis qu’à deux malheureux kilomètres !

Je ralenti et essaie de ne pas m’arrêter. J’entends la forêt qui se réveille.

Plus je m’enfonce dans la forêt profonde, plus il fait sombre, plus mes réflexions le deviennent également.

Je pense au cancer qui a emporté ma fille Zoé. A tous ces parents qui se battent auprès de leur enfant et qui ont encore l’espoir. Les autres qui eux  n’ont plus d’espoir pour leur enfant…

Des images douloureuses de Zoé souffrant pendant ces traitements, puis ces images d’elle décédée me reviennent en pleine tête, puis c’est son visage souriant qui revient.  Puis celle de son corps meurtri par les bleus dû aux piqûres qu’elle avait chaque jour. Son corps brûlé par les effets de la chimio.

Pfffff tant de souffrances.

Est-ce que les gens peuvent imaginer ce que ces enfants endurent, ce que leurs familles endurent ?

Non probablement pas.

C’est bien pour cette raison que je dis toujours que seules les personnes vivant la même chose peuvent comprendre.

Je m’accroche, j’accélère, je ne me plains pas et j’avance me disant que je suis contente d’avoir trouvé ma place dans ce monde. Faire ce que je fais dans Zoé4life, venir en aide aux familles, soutenir la recherche et faire changer les choses….

Et pourtant bien des personnes ne me comprennent toujours pas. Il me semble pourtant en avoir déjà parlé dans mes précédant textes. Bon c’est vrai tout le monde ne me lis pas. Mais avant de parler de moi ils devraient probablement lire ce que j’écris 😉

Je devrais le crier haut et fort : Je ne demande pas qu’on me comprenne, je demande que mes choix soient respectés. Ou alors simplement qu’ils peuvent garder leur avis pour eux.

Bref, ce n’est pas bien important pour moi, j’ai fini de me justifier, d’expliquer le pourquoi du comment. Mais c’est souvent vers mes proches que les gens font ses remarques et ce sont mes proches qui se retrouvent à expliquer le pourquoi du comment de mes choix de vie.

J’ai parfois l’impression d’avoir fait un choix de vie comme partir au fond de l’Afrique vivre sous tente dans une tribu!

La perte d’un enfant c ‘est terriblement injuste. Mais je pense à ces femmes de l’époque qui perdaient parfois plusieurs enfants. A ces femmes dans les pays les plus pauvres qui perdent leurs enfants les uns après les autres à cause d’une injustice encore plus terrible que le cancer : la faim. En 2015….C’est presque impensable de se dire que cela est encore possible.

Je me dis que je ne peux pas me plaindre, il y a en a qui vivent bien plus dur que moi. Ce qui ne me tue pas me rend plus forte, j’y crois sincèrement. Je sèche mes larmes je chasse mes idées noirs et voilà déjà la forêt qui devient plus claire avec au bout la clairière.

Je longe maintenant la forêt et je me dis que j’aimerai ce deuxième rendez-vous. Je le dis à haute voix.  « Zoé je veux des signes, je veux plus de signes de ta part ! »

Car par deux fois, complètement effondrée en ballade j’ai demandé un signe et je les ai eus. Une magnifique grosse libellule bleue, couleur préférée de Zoé. Elle m’a accompagnée sur un bon bout de chemin en pleine forêt, sur un sentier étroit. Puis il y a eu le jour où je me suis retrouvée face à un chevreuil…S j’ai pu immortaliser la rencontre avec la libellule le chevreuil lui avait filé bien avant que je sorte mon téléphone.

libelulle 2

Le chemin est plus stable je lève les yeux et regarde du côté du champ. Là un jeune chevreuil qui lève les yeux au même instant et s’en va en courant. Dommage…Mais superbe !

Je suis attaqué par des taons. Haaagggrrr, je n’aime pas ces insectes-là. Ils piquent et sucent le sang et ça fait des sacrés piqûres qui grattent terriblement.

Je commence à me battre avec eux, puis vu que je dois en avoir au moins quatre qui me tournent autour je repars en courant de plus belle.

J’accélère, je veux arriver au bout du chemin pour m’enfoncer à nouveau dans la forêt avant de rejoindre le long bout droit qui me ramènera chez moi.

Je me surprends à voir comment je peux tenir, comment j’arrive à courir si vite et si longtemps.

Tout comme je me surprends à pouvoir continuer de vivre sans elle…

Ça y’est, je suis arrivée à nouveau en pleine forêt je m’arrête. Je n’en peux plus. J’entends des bruits dans les feuillages. Les chouettes et autres oiseaux échangent entre eux.

Les images sombres qui me hantent reviennent en force. Le manque, l’absence, la tristesse, l’injustice. Tant de sentiments incontrôlables à cet instant précis.

J’ai envie de m’asseoir, là, pare-terre et d’attendre que ça passe. Attendre que ça aille mieux. Que je sois moins triste, que j’ai moins mal.

Mais ça ne changera rien.

Il faudra que je me lève à un moment ou l’autre et que j’avance…

Alors je m’accroche, et je repars d’un pas tranquille mais qui va s’accélérer petit à petit en reprenant confiance, en reprenant goût.

Goût à la course, goût à la vie.

Je sors de la forêt et me revoilà sur mon kilomètre comme on l’appelle ici.

Mon regard est attiré par quelque chose sur ma gauche. Une boule rouge. Une magnifique boule rouge dans le ciel. Le soleil qui se lève, majestueux comme jamais je ne l’ai vu. Je m’arrête, encore, cette fois pour prendre une photo.

soleil2

Je suis une fonceuse, je fais des choix et surtout je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour assumer mes choix et arriver aux buts fixés. Parce que lorsque je m’engage je le fais à fond. Je suis souvent qualifiée d’hyper active en plus 😉

Je repars.

Monsieur renard est là cette fois vers les tournesols et je me dois de m’arrêter pour photographier à nouveau la beauté de cette nature. Bon le renard a bien entendu disparu, mais reste les tournesols qui se dressent gentiment face à cette boule rouge qu’est le soleil.

 

tournesols

Certains me disent de ralentir, certains me disent de m’arrêter, d’autres me disent de continuer et de foncer.

Je fais tout ça. Mais les gens ne voient que ce qu’ils veulent voir.

Comme lorsque je cours je fais comme je pense être le mieux pour moi et je fais du mieux que je peux avec les moyens du bord.

Je suis heureuse de faire partie d’une association qui peut faire une vraie différence. Il m’arrive de faire un don à une autre association triée et sélectionnée selon des critères que je me suis fixés. Je contrôle toujours que ce soit une association qui n’a que très peu de frais administratifs et qui n’a en général pas de salarié, à moins que ce soit des professionnels diplômés.

Mais le cancer de l’enfant c’est ce que je connais, c’est là où je peux faire une différence. C’est là où j’ai choisis de m’engager.

La vie c’est comme une route qui mène à un but. Si l’on pense savoir qu’elle débute à notre naissance et se termine à notre mort, nous ne pouvons en aucun cas en être certains.

En effet notre vie commence bien avant notre naissance et pourtant nous n’en gardons aucun souvenir. Quant à la mort nous n’en savons rien. Seule certitude c’est que nous y passerons tous.

Une route c’est pareil. Nous croyons que le chemin se termine car nous pensons en voir le bout.  Mais en général arrivé à ce point-là, nous constatons qu’il y a n a une autre route qui s’offre devant nous. Un choix à faire à chaque croisées.

Je me retourne et je regarde derrière moi. Je souris car si je suis là où je suis aujourd’hui c’est grâce au chemin parcouru.

Il est 6h30 je suis arrivée devant chez moi, la journée ne fait que commencer et j’ai déjà eu de magnifiques rendez-vous. Et ça ne fait que commencer. Grâce à mon travail au sein de Zoé4life j’ai la chance de faire de si belles rencontres.

Ma vie est là, quelque part sur une route qui a été déjà bien jalonnée mais qui garde encore tous ses secrets pour la suite….

 « On doit vivre sa vie en regardant devant soi, mais on ne la comprend qu’en regardant en arrière »  Sören Kierkegaard

Natalie Guignard – Août 2015

15 réponses à “Rendez-vous

  1. En tant que famille soutenue par votre association, je voulais vous dire merci et vous dire mon admiration pour votre courage et votre force de vie

  2. Frédérique Lebertre
    Je pense a vous et a Zoe très souvent et vos paroles résonnent en moi. Je crois comme vous que ceux qui nous quittent nous envoient des signes et nous aident, pour moi c’est mon père Charles Magnon cousin de votre père.
    Continuez, vous etes admirable dans vos choix et votre determination a continuer a avancer.
    Je vous embrasse

  3. Je suis la maman d Evelyn qui a passée des années au Chuv. C est la première fois que je trouve le courage de t écrire Nathalie. ..je suis de tout coeur avec toi et ta souffrance. Je pense a toi et ta famille trèst très souvent. Bisou.

  4. Bonsoir c’est avec beaucoup d’émotions que je vous lis je sens l’atmosphère de la forêt la beauté de vos rencontres la douleur de vos muscles et l’immense violence des souvenirs des souffrances de Zoé. Vous êtes tellement courageuse,généreuse ,une si belle personne, une maman unique et extraordinaire. Bravo pour tout ce que vous faites j’ai beaucoup de respect pour vous. Nicole

  5. Savoir prendre le temps de regardez, de voir et de sentir le moment présent n’est pas à la porté de tous. Faire 1 des trois est bien, en faire 2 sur trois c’est très bien, en faire 3 sur trois c’est le bonheur à chacun sa liberté de se juger sois même et de respecter le choix des autres. bises Natalie. Papa

  6. Très beau message bravo pour votre courage et ne vous justifiez pas certe on ne peux pas comprendre quand on a pas passer par ces moments mais nous sommes mères et la perte d un enfant est qq chose de terrible , je pense souvent a votre famille et me dis que jai de la chance d avoir des enfants en bonne santé meilleures pensées et très belle journée:-)

  7. Bravo pour tous ces mots simples et merveilleux qui font du bien… MERCI et surtout reste comme tu es !

  8. Chère Nathalie…
    En vous lisant,je m’entends,me vois…
    Mon combat est aussi dans le manque et la douleur.Ma Fille décédée brutalement,dans un accident,voilà 3 ans,à 19 ans…
    Je cous aussi,et ce besoin de nature,de signes…Moi,c’est les buses!Juste incroyable…👼✨
    Des connaissances,ont perdu leur fils,depuis un mois et demi,et j’ai été surprise,comme j’ai pu,les épauler,les écouter,être utile,un sentiment qui fait du bien,dans ces moments horribles de la vie…
    Je ne connais pas la maladie,et ces combats si douloureux,mais aider reste un cadeau magnifique!Continuez Nathalie…
    Et si besoin,pourquoi pas,donner aussi de mon vécu…
    J’admire votre chemin…
    Mes pensées positives et chaleureuses.
    Corinne

  9. chaque choix de vie est le bon, pour celui qui l’a choisi avec conscience, je vous admire vous et toutes les mamans blessées, ne vous justifiez de rien, vous êtes admirable… ❤ ❤ ❤

  10. Bravo pour ton texte magnifique…. Vrai , émouvant , et fort. Oui ton chemin de deuil n’est pas le même que le mien, moi qui ai envie de fuir ce milieu maudit de la maladie , de la souffrance et de la mort! Peut être par lâcheté , égoïsme et colère ! Bravo pour tout ce que tu fais et n’écoutez que ton cœur et ton âme ! 😘

  11. Magnifique témoignage. Merci à vous. Je vous souhaite plein de rencontres et « signes » !

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