« Est-ce juste un prénom gravé dans la pierre ? »
Nous sommes là assis dans ce petit bureau qui se trouve niché au fond d’un garage. Nous sommes ici pour choisir le monument funéraire, la pierre que l’on aimerait déposer sur la tombe de notre enfant.
Oui nous désirons offrir un beau monument à notre petit ange et enlever la croix qui est déjà tant abîmée. Une croix qui avait tant surprit et dérangé Lana lorsqu’elle avait réalisé qu’elle serait disposée sur la tombe de sa petite sœur. Une croix qui lui fait penser à la religion, religion contre qui Lana est en colère….
Choisissons, quelque chose à son image, de beau, de chaleureux, simple et naturel. Pas une pierre trop froide, même pas du tout froide c’est certain. Pas une pierre trop brillante, trop lisse. Juste quelque chose de brut et de clair. Nous sommes tous les trois d’accord. Nous savons ce que nous voulons et ce que Zoé aurait voulu. Pas de chichi. Quoique. Zoé aurait aimé une pierre bleue avec pleins de brillants la connaissant !
Les lettres. Oui lesquelles et quelles formes. Surtout pas trop droites, ni trop strictes. Nous optons pour des lettres plus fines, plus ondulées. Des lettres un peu fofolles que l’on pourrait presque imaginer voir danser.
Lana est là. Si mature, si grande, si posée et sûre de ses choix.
Elle pose ses questions aux deux personnes qui sont en face de nous. Elle aimerait un dauphin. Pas n’importe lequel. Elle aimerait Winter. Mais sur une pierre claire nous ne pouvons pas faire de gravure, lui explique le sculpteur. Elle écoute, réfléchit et comprend. Nous pouvons opter pour un dauphin sculpté. Là sur le bureau le catalogue des sculptures était déjà ouvert à la page où se trouvent les dauphins.
Ils connaissaient l’histoire de Zoé et son rêve de rencontre Winter. Ils avaient suivi toute « l’histoire » et ils avaient déjà leur idée.
Ce ne sera pas Winter, mais un dauphin.
Lana touche les lettres qui vont composer le prénom de sa petite sœur. Prononce le texte qu’elle avait choisi plus tôt dans la journée. Elle mène la conversation, pose encore des questions et au moment de signer le contrat désire elle aussi y apposer sa signature. Nous rions de son implication, de sa sagesse et de sa pertinence.
Encore un de ces moments tragique au vu de ce que nous sommes en train de faire, mais magique rien que par la présence de Lana et de son attitude.
Je regarde ma fille, ma fierté, se promener au milieu de l’atelier, passer sa main sur les pierres et venir me montrer ses mains toutes blanches de poussières. Encore des questions. Elle regarde tout, observe tout. Pourquoi ces pierres-là sont-elles plus grandes et celles-ci plus petites ? Elle écoute les explications de ce monsieur si gentil. Il y a des personnes qui ont été incinérées dont les tombes sont petites comme Zoé, et d’autres ensevelies et donc les tombes sont plus grandes.
Je réfléchis. C’est vrai que ce n’est pas juste. Pourquoi Zoé a-t-elle du partir si tôt ? Pourquoi ne sommes-nous pas au magasin en train de lui choisir un vélo ou une paire de chaussures car elle les aurait encore détruites en faisant de la trottinette ?
Non ce n’est pas juste. Bouffée de tristesse. La boule, cette boule si familière monte, me noue la gorge. Les larmes me piquent les yeux. Mais je maîtrise oui je maîtrise. Je sais que je ne peux plus parler. Ma voix me trahirait. Je me tais tourne le regard, la tête. La boule redescend, juste à temps pour que les larmes qui perlent au bord de mes yeux puissent sécher.
Bien qu’il faille attendre la fonte des neiges pour pouvoir obtenir la pierre choisie qui se trouve dans les montagnes, Lana repartira avec un morceau de la pierre qui sera celle de sa sœur.
Encore une fois nous sommes entourés de personnes merveilleuses. Merci!
Ce jour-là en repartant de la marbrerie je téléphone à mon amie Nicole. Elle avait déjà appelé plus tôt. Ce qui m’intriguait car en tant normal un message suffit toujours. Je lui annonce que nous étions à la marbrerie et que je ne pouvais répondre. J’entends le « ha » suivi du silence. Elle a probablement dû se sentir gênée de nous déranger dans un moment pareil. Et je lui dis : Hé c’est bon, c’est ok, c’est comme ça. Et là voilà qui peut m’annoncer une excellente nouvelle concernant l’association Zoé4life que nous gérons à six, y compris Lana.
C’est à nouveau dans mes pensées que je m’évade une fois le téléphone terminé. La vie est étrange. Pourquoi ce coup de fil, cette bonne nouvelle juste à cet instant précis ? Est-ce vraiment un hasard ? Je ne me pose pas vraiment la question, car je ne crois plus au hasard depuis fort longtemps. Cela confirme juste ma conviction.
Les jours et les semaines ont passé. Et voilà le coup de fil de la marbrerie qui me demande de passer voir le monument car nous devons décider de la façon dont nous aimerions disposer les lettres. Dans deux heures ? Oui nous y serons.
Cette fois c’est Lana et moi qui nous nous rendrons sur place. Mon mari n’ayant pu se libérer.
Ca y’est. Cette boule si familière est à nouveau là. Les larmes me piquent à nouveau les yeux. C’est devenu si familier. Comme un jeu. A essayer de lutter contre, et voir qui sera le plus fort. Oh je vous vois en train de me dire : Il faut lâcher, il faut pleurer. Bien sûr que je pleure ! Et tous les jours. Mais pleurer devant les gens non. Si vous pleurer devant les gens ils ne savent de toute façon pas comment agir, et quoi vous dire. Et vous vous ne savez même pas ce que vous attendez des autres de toute façon. Et tout le monde est mal à l’aise. Il m’arrive de parfois, rarement, ne pas pouvoir me contrôler totalement. Suivant avec qui je me trouve.
Mais là je me contrôle encore. Mais difficilement. J’ai gagné. Du moins je pense avoir gagné.
Mais à regarder ce prénom inscrit dans la pierre. Ce prénom qui fut la joie. Qui fut une petite fille souriante pleine de vie. Ce prénom, qui fut ce petit corps frêle et solide à la fois que je connais encore par cœur. A regarder ce prénom je réalise que je n’ai pas encore gagné. La boule revient.
Lana encore une fois m’aide. Probablement qu’elle n’en a pas conscience. Elle pose encore des questions, touche les lettres, les déplacent, les replacent. Voilà nous avons choisis.
Elle aimerait être présente lorsque le monument sera posé.
L’adorable monsieur lui explique, avec sa patience légendaire, que : « c’est mieux pas. C’est pas très joli ». Bien entendu cette réponse ne suffira pas à Lana. Sur le chemin du retour je lui explique que dans la terre il y a pleins de petites bêtes, et que c’est pour cette raison qu’il lui a répondu cela. Elle repart dans ses pensées, mais semble avoir compris.
C’est également ce jour-là que la maîtresse de Zoé me contacte. La photo de classe va avoir lieu. Il est souhaité, par plusieurs parents et la maîtresse, que Zoé apparaisse sur la photo de classe. Zoé a fait partie de cette classe après tout. Il est possible avec la technologique de nos jours, de créer un montage et Zoé sera probablement dans un nuage. Nous sommes extrêmement touchés et bien entendu d’accord et ce sera un magnifique souvenir pour nous.
Mais là encore la question est posée à Lana. Est-elle d’accord ? La réponse est directe : OUI. Mais elle veut choisir la photo car elle me dit : J’en ai marre de voir toujours la même photo de Zoé partout.
J’aime cette franchise qu’elle a et cette façon si directe de poser des questions et d’exprimer ses sentiments. Elle choisira donc la photo. Celle du premier jour d’école de Zoé. Non ce n’est pas un hasard non plus.
De mon côté je décide d’aller faire du « Shopping » avec une amie.Non pas le genre de shopping que vous imaginez. Mon amie Marie-Laure accepte de venir avec moi pour choisir les fleurs que nous allons disposer sur la tombe de Zoé. J’avais consulté mon amie Céline, fleuriste, qui m’envoie des noms imprononçables de fleurs. Je désire des fleurs bleues, qui tiennent l’été au plein soleil. Nous voilà, donc avec Marie Laure, ma liste sous le bras, en route pour la jardinerie.
Dans la voiture la boule est à nouveau là. Je tente de maîtriser. Mais mais ma voix me trahis. Je me tais et mon amie me réconforte, une parole bienveillante, une main tendue. Puis je ris. Car à ce moment précis mon amie Nicole fait du Shopping également avec des amies. Un autre style de Shopping. Le vrai shopping que l’on fait entre amies.
C’est ainsi ma relation avec mes amies. Drôle et triste en même temps, mais si réconfortant d’être entourée.
Nous ne trouvons pas nos fleurs bleues, demandons conseil et là encore une personne merveilleuse nous aide à trouver notre bonheur. Nous trouvons également une petite lanterne bleue et quelques décorations à planter en terre dont un petit papillon bleu qui volera sur la tombe de Zoé. Egalement une décoration avec une coccinelle car Zoé aimait les coccinelles et ce qu’elles symbolisaient.
L’après-midi mon amie se rend sur la tombe de Zoé et m’envoie la photo que je vous joins…ne me dites pas que le hasard a fait que cette coccinelle s’est posée juste à ce moment précis sur les fleurs bleues de la tombe de Zoé… J’aime à penser que c’est un signe de Zoé. Que cette coccinelle est venue remercier mon amie du soutien qu’elle m’accorde.
Vendredi en fin d’après-midi, Lana et moi nous nous sommes donc rendues au cimetière afin d’admirer le monument qui avait été mis en place dans l’après-midi. Nous avons replacé chaque objet que j’avais du ôter un peu plus tôt dans la journée.
Quels objets pouvons-nous encore placer ? Il y a moins de place.
Nous allons nous étaler un peu. Tant pis. Les gens comprendront.
Les bricolages, les peluches des copains d’écoles, nous tentons de trouver une place pour chaque chose au milieu des petites fleurs bleues.
Une fois ce beau travail effectué nous nous reculons et admirons notre travail. C’est beau.
C’est tragique de voir le prénom de son enfant sur une pierre.
Mais c’est beau. C’est un beau monument.
Cette fois j’ai gardé mes lunettes à soleil.
Ma maman qui nous accompagne est émue aux larmes. Et après avoir fini de lire le texte magnifique qu’une petite fille a écrit pour Zoé elle ne peut empêcher ses larmes de couler.
J’ai bien fait de garder mes lunettes. Les larmes me coulent également….Lana nous regarde, puis hésite à poser une question, mais finalement elle continue d’arranger encore quelques détails. Les lolettes de Zoé il ne faut pas les oublier.
Le soir Lana me parle de sa sœur et je remarque qu’elle en parle au présent. Je repense à ce devoir d’allemand ou elle devait répondre à la question : As-tu des frères et sœurs et si oui quel âge ont-ils ? Elle m’avait alors expliqué avoir été drôlement embêtée avec cette question. Parce qu’elle ne savait pas comment dire en allemand qu’elle avait une petite soeur qui était décédée. Pour finir elle m’avait répondu :
« J’ai dit que oui j’ai une sœur, qu’elle s’appelle Zoé, qu’elle a 5 ans » « finalement c’est vrai, elle sera toujours ma petite sœur ».
J’avais souris de sa sagesse, de sa maturité et de la justesse de ses mots. Oui Zoé sera toujours sa petite sœur. Elle est juste ailleurs.
Je lui fais finalement part de ma réflexion en lui disant : « Tu dis que Zoé aime cette chanson, mais tu devrais dire aimait cette chanson ».
Elle n’a pas eu besoin de réfléchir cette fois et me sort :
« Mais c’est normal. Ce n’est pas parce que les gens sont décédés qu’on ne doit plus parler d’eux au présent. Ils sont juste ailleurs. Si on parle d’eux au passé ou pas du tout c’est faire comme s’ils n’avaient pas existé ».
Encore une fois je suis émerveillé de cette enfant de 9 ans dont je suis si fière. Et je ne peux que l’approuver. Ce que je fais en lui disant qu’en effet c’est comme si nous étions dans un train, et que nous nous trouvions dans deux wagons différents.
Elle ne nous quittera jamais vraiment. Même en n’étant plus là physiquement.
Le train avance tout comme nous avançons, avec Zoé dans un autre wagon, dans nos cœurs.
Lana a-t-elle une idée de la façon dont elle m’aide à avancer ? Combien de fois m’a t’elle dit: Oui je suis triste, mais faut bien avancer?
Lana a raison.
Et ce prénom maintenant inscrit sur cette belle pierre n’est pas « juste » un prénom gravé dans la pierre. C’est bien plus que cela.
C’est la rencontre de personnes merveilleuses, c’est un travail, une étape que nous avons dû passer ensemble, des moments de réflexion, d’échange et de partage.
C’est un cadeau que nous voulons offrir en hommage à notre petite Zoé. C’est une reconnaissance pour l’amour qu’elle nous a transmis.
Une reconnaissance de nous avoir choisi afin d’être sa famille.
Ce prénom de trois lettres. Ce si petit prénom choisi, non pas par hasard j’en suis certaine, a été, et est celui d’une bien grande personne qui nous a tant appris.
Si aujourd’hui il est inscrit sur cette pierre, il a été avant tout ce sourire à fossettes dont nous sommes si fiers et honoré d’avoir partagé la vie.
Natalie Guignard
18-5-2014
Bonjour, je trouve magnifique votre livre et je vous admire d avoir su coucher les mots de cette façon. C est juste magique et j aurais souhaite connaître Zoé, jolie petite demoiselle qui brillera partout. Je ne sais pas si vous connaissez l association Destiny qui oeuvre aussi pour les personnes atteintes du cancer. Les 4-5 juillet, il y a un Festival Country avec ambiance, boutiques etc. http://Www.association-destiny.ch pour plus d informations. Amitiés Annick
simplement magnifique
Magnifique….un message exceptionnel pour une petite princesse exceptionnelle de la part d’une maman extra et d’une grande soeur incroyable!!
Quel commentaire laisser après votre témoignage ? Moi aussi, j’ai une boule dans la gorge en vous lisant. J’aime la tendresse qui émane de votre texte. J’aime l’authenticité du balancement de vos émotions, les larmes qui abreuvent le bonheur d’être en la présence de Zoé dans le choix de la pierre, imaginer comment la représenter tout entière sur ce monument, y laisser les traces de sa vivacité, de sa fraîcheur, de tout ce qui constitue Zoé. Elle est admirable et si aimante cette grande soeur Lana qui trouve naturellement les mots de la vie et qui vous entraîne vers demain avec Zoé toujours au présent. Oui, Zoé est… Elle est dans tous les souvenirs, elle est dans le caractère de la pierre choisie, elle est sur ce coin de terre comme sur une planète du Petit Prince, elle est dans tous ces « hasards » de la vie. Elle est dans vos coeurs à jamais… et juste à côté, tout près.
Vous vous battez tous pour ne pas pleurer, je ne peut pourtant m’en empêcher en lisant les textes de l’après…après avoir suivis Zoé si longtemps dans l’avant……Avant j’avais l’impression d’entendre comme vous ces éclats de rire qui forçait il faut avouer mon admiration maintenant il me manque en quelque sorte, heureusement que les paroles de Lana apporte ce rayon de soleil…..Bon courage enore et toujours. Amicales bises
Chère Famille
Cela fait plusieurs mois que je suis le combat et la triste fin de Zoé, et chaque fois j’ai les larmes aux yeux. Je comprends la révolte de Lana contre la religion. Comment le Bon Dieu peut laisser mourir les enfants !
Quelle chaleur humaine, quelle force et quelle amour de la part de vous, de sa famille. Beaucoup de courage pour Lana, cela doit être si dure, d’avoir vécu tout cela. Je ne sais pas comment j’aurais réagis, mais sachez que je vous admire tous.
Je vous souhaite beaucoup de courage que vous pouvez puiser dans les magnifiques souvenirs.
Avec toutes mes amitiés
Suzanne Richard, Prilly
su.richard@bluewin.ch
Je suis toujours très émue par votre témoignage, depuis août 2013 que je vous lis. Merci pour ces textes vibrants d’humanité.
… et cinq petits points noir sur la coccinelle !